Chap.1. Douce folie.
Suis-je folle ?
Me voici de nouveau sur la route, le cœur qui bat la chamade. Pour éviter de me poser trop de questions j'ai poussé le son de la radio mais le bruit de la soupe commerciale qui en sort n'arrive pas à couvrir les visions qui m'assaillent.
Suis-je folle ?
Pour la troisième fois je me précipite vers lui pour subir de mon plein gré les plus doux des tourments, la plus agréable des humiliations. Je ne peux m'empêcher de me remémorer ce week-end de folie à Lyon au début de l'été. Et plus loin notre premier entretien dans son atelier. Ma première humiliation nue, à genoux. J'en frissonne d'aise et je souris. Oui, certainement, d'aucune m'estimerais folle !
Et ces longs mois à patienter sans quasiment aucun contact avec lui ! Avec la certitude que, peut être, une autre est à genoux au milieu de son atelier. Et tout le cortège de fantasmes qui accompagne cette évocation. Elle est plus belle. Plus docile. Plus soumise. Plus experte que moi ! Je la vois danser autour de lui, s'incruster dans ses toiles, je le vois m'oublier ! A cette évocation je crispe mes mains sur le volant, mon ventre se tord de frustration. Encore une fois je me calme par une profonde inspiration et j'essaye de me concentrer sur le long ruban d'asphalte de l'autoroute qui me lie à lui. D'un basculement rapide je me regarde dans le rétroviseur pour me rassurer. Les yeux noisette de mes vingt ans encadrés de cheveux auburn se moquent de moi. J'ai encore un visage qui porte mon adolescence en étendard et pourtant j'ai mûri, terriblement mûris et je sais que cette maturité me rend encore plus désirable.
Oui !... Aujourd'hui c'est mon jour ! Et je cours vers Lui pour reprendre ma place.
Dans un souffle une puissante berline me double. Un éclair gris ! Je la regarde s'éloigner devant moi. Elle est déjà plus proche de Lui que moi ! Je veux rejoindre d'urgence l'odeur de la térébenthine de l'atelier et la saveur de l'adrénaline au fond de ma gorge. J'appuie d'un pied rageur sur l'accélérateur.
Oui… Je suis folle !